La Terre et les hommes | Le
Cadre communautaire|
L’évolution
On a vu
les détails en considérant le rôle de l’assemblée de la communauté, et celui
des officiers municipaux. Il nous rets à faire la synthèse de cette évolution
en en cherchant les causes. Si aucune modification n’est intervenue dans le
nombre des officiers municipaux, il n’en va pas de même pour la composition et
les pouvoirs de l’assemblée communale qui voit peu à peu se déliter ses
pouvoirs au profit d’une minorité.
Le
suffrage se restreint.
On peut
discerner trois périodes :
- Jusqu’au milieu du 17ème,
c’est « la piu e maggiore
parte delli homini e popoli del quartero
di … » qui prend les décisions dans l’assemblée.
- Jusqu’au milieu du 18ème
cette expression subsiste, mais elle est associée aux noms des Officiers
Municipaux. Ce sont eux, en fait, qui décident. (Voir élections des gardiens).
- Dans le dernier tiers du 18ème
siècle, il n’est plus question d’ « homini e popoli » mais de « capi di famiglio ».
Le chef
de famille c’est toujours le personnage le plus important (donc le plus riche),
d’un groupe d’individus, qui e quelque sorte
ont délégué leurs pouvoirs politiques à une personne au-dessus d’eux.
Ainsi, pour l’élection des gardiens de la châtaigneraie, pour la totalité de la
commune de BASTELICA, moins de 200 chefs de famille sont cités (Environ 10% de
la population totale).
Parallèlement
au suffrage, les pouvoirs de l’assemblée se restreignent aussi en faveur des
« Maggiore e Diputati »
et autres « pères du commun ».
On a vu
que dès le milieu du 17ème siècle l’assemblée des électeurs délègue
de plus en plus ses pouvoirs à ces Officiers municipaux. Plus tard, ils vont
même nommer le Podestat et les autres fonctionnaires comme le Capitaine du
Bataillon. Cette tendance à l’accaparement des fonctions locales par une
minorité s’est renforcée pendant toute cette période. A la fin du 18ème
siècle, presque tous les postes sont occupés par les membres de quelques familles : FOLACCI, SETA, VALLE. Cette
évolution a été favorisée par GENES. Au 18ème, certaines ordonnances
du Gouverneur obligent les communautés à dresser une liste des notables qui
permettra de tirer au sort les Officiers Municipaux. La volonté de la
république est claire : s’appuyer sur la classe dirigeante du peuple
Corse.
A cette
explication politique, il est indispensable d’associer l’aspect économique.
L’essor de l’économie accroît l’influence des notables sur la population, et
favorise leur installation à la tête de la communauté. Le notable enrichi va dominer la vie sociale
et les institutions.
Cet
enrichissement et la politique de classe de GENES, favorisent la formation des
« clans ». Les luttes politiques entre ces clans menacent
sérieusement le caractère démocratique des institutions. Les luttes économiques
(avec le conflit Agriculteurs/ Bergers qui entre dans une phase aigue) favorisent cette évolution.
PAOLI aurait pu la freiner, mais il ne touche pas à
l’organisation municipale génoise, se contentant (Aurai-il
pu faire autrement ?) de légères retouches. On adjoint aux Officiers Municipaux un
Greffier et un Huissier INAMOVIBLES. Mais ses préoccupations essentielles sont
d’ordre militaire et PAOLI n’interrompt en rien l’évolution au sein de la
communauté, c'est-à-dire l’accaparement des fonctions municipales par une
oligarchie.
La
France va respecter les anciennes circonscriptions religieuses et civiles,
ainsi que les institutions municipales génoises.
Une
ordonnance du 30/11/1778 fixe les conditions d’élection et d’éligibilité. Ce
sont désormais les « chefs de famille » âgés de 25 ans révolus qui
élisent les Officiers municipaux. Dans les familles où le père est vivant et où
il y a un fils de 25 ans, celui-ci ne peut prétendre voter que s’il est
marié. Les élections sont faites au
scrutin de listes. L’assemblée doit être présidée par le podestat.
C’est la
fin de l’idéal communautaire.
Quant
aux officiers municipaux, leurs fonctions sont précisées mais restent orientées
dans les mêmes directions.
Finalement
la France n’a pas résolue la crise communautaire. Elle a conservé le schéma
génois et ses réformes de détail ne font que renforcer l’évolution.
Les
familles les plus aisées, les plus considérées, (FOLACCI, SETA, VALLE)
regroupées autour des chefs de famille, avec à leur tête le Podestat sont
amenées à jouer un rôle prépondérant. On est passé d’un régime communautaire
absolu à une oligarchie des « principali » de la communauté.
Cette
évolution a été plus ou moins rapide et LAMOTTE[1]
note que la vie communautaire reste très intense à BASTELICA dans la première
moitié du 18ème siècle. Cela est vrai, si l’on tient compte du fait
que le découpage par « quartero » et le caractère « turbulent » de
la communauté (les actes de l’Intendance en relève de nombreux exemples) ont pu freiner l’émergence des clans. Il faut
tenir compte aussi du système économique qui regroupe les habitants sur des
intérêts communs (Par exemple : la défense de l’élevage contre l’extension
de l’agriculture).
Mais en
profondeur, l’évolution reste identique. Affaiblissement de l’assemblée au
profit d’une minorité de familles qui accaparent presque toutes les charges
municipales. Cf. l’assemblée des habitants de BASTELICA du 02/09/1789[2].
« Le podestat et les deux pères du commun,
réunissent dans l’église paroissiale l’assemblée du peuple.
Elle approuve les officiers Municipaux qui
demandent le droit d’élire les députés pour faire connaître les torts subis par
leur communauté dont ils seront chargés de défendre les privilèges et les
droits.
Le très révérend Joseph PORRI (Recteur),
François Marie COSTA (médecin de la « pieve »), notables et réputés
nobles tous deux, et le magnifique Marcantonio Luigi BENIELLI (originaire et citoyen de
BASTELICA, mais habitant AJACCIO), sont élus députés et BENIELLI est admis dans
les titres, honneurs, charges, privilèges et prérogatives dont jouissent les
principaux notables de BASTELICA…..
Les 3 députés doivent retirer des archives
d’AJACCIO (ou du moins consulter) les titres et documents qui appartiennent à
BASTELICA. ….
Ils doivent demander aux Officiers Municipaux
d’AJACCIO de ne plus vendre ni louer leurs pâturages communaux à TIMIZOLLO et
STILETTO sur lesquels la communauté a droit de compascuité et cela sous peine de dommages et intérêts
et de nullité de toute location.
Ils exigeront le remboursement des locations
faites ces dernières années au préjudice de leur communauté, à raison de la
moitié de la redevance. A moins que la municipalité d’AJACCIO n’en tienne
compte dans les prochains fermages. Les Officiers Municipaux d’AJACCIO
obligeront les propriétaires de terrains de la ville ou d’autres communautés, à
abandonner ceux dont BASTELICA a le
droit de jouissance.
Les champs de CAPO DI LORO devront être clos et
estimés, sinon le pâturage y sera libre pour le bétail de la communauté. Les
terres de CAMPO di LORO et LISTINCHICCIA seront concédés de préférence à des
habitants de BASTELICA. Leurs affermages qui ne dépasseront pas 300 lires
pourront rester à la charge de cette communauté.
Les trois députés sont également chargés
d’obtenir par l’intermédiaire du Juge Royal et du Subdélégué de la province
d’AJACCIO, la restitution d’un décret remis par des particuliers à l’avocat
Jean-Baptiste TARTAROLI. Si l’avocat refus de rendre ce document nécessaire au
maintien de droits publics et privés, la communauté fera appel au Ministère de
la Guerre.
L’évêque du diocèse est informé qu’il recevra à l’ouverture du
séminaire trois jeunes élèves de BASTELICA.
Des mémoires détaillés seront envoyés au Député
de la province d’AJACCIO qui demanderont à la Nation et au Roi de faire de la
communauté de BASTELICA une pieve distincte. »
Ces
exigences, ces préoccupations, essentiellement d’ordre territorial, nous les
retrouverons dans l’étude économique.
La
dernière exigence, « faire de BASTELICA une pieve autonome » pose le problème de l’importance quantitative
de cette communauté.
Ces
hommes, que nous avons vu s’agiter dans le cadre de la vie municipale, il
s’agit à présent de connaître leur nombre, les mouvements qui transforment
cette population et la répartition des habitants au sein de la famille.