La Terre et les hommes | La Population | L’émigration
On ne peut mesurer
quantitativement le déplacement de population
l’échelle d’une seule communauté. Cependant, il est certain que de
nombreux habitants ont choisis de s’expatrier définitivement. L’historien
FILIPPINI estime à 2000 le nombre de corses qui allèrent combattre dans les
armées vénitiennes ou dans les troupes catholiques en France contre les
huguenots. Un feuillet non signé des archives de TURIN chiffre le nombre de
corses au service de l’étranger à 4600. Et BASTELICA a ses représentants.
Ainsi FUMAROLI [1]
raconte qu’en 1662 la « Garde CORSE » du pape avait tiré sur la
voiture de l’ambassadeur français. Un certain DOMENICO de BASTERGA dit a ses camarades : « moi, j’ai fait mon coup ». Il y eut plusieurs tués et deux
autres bastélicais furent compromis (SIMONE et
FRANCESCO).
D’autres personnes
originaires de BASTELICA s’illustrèrent de façon plus noble.
SAMPIERO
bien sur, le plus célèbre mais aussi BERNARDINI de
BASTELICA. FUMAROLI nous indique que dans l’église de SAINT GRISOGERE à Rome,
on peut lire cet épitaphe : « BERNARDINI
de BASTELICA, officier, et MARIANO DIANI, tous deux corses ont construit ici ce
tombeau pour eux et leurs descendants avec l’autorisation de leurs
compatriotes ».
Ce sont là des exemple
d’émigrés qui ont trouvé leur voie dans les armes : la vie militaire
est-elle la seule issue pour le corse qui s’exile ?
En fait l’émigré entre
également dans les Ordres, se fait connaître des les
Lettres ou reste simplement agriculteur. C’est surtout l’Italie qui les reçoit
car elle est favorisée par l’amélioration des communications de navigation
entre la Corse et l’Italie.
Un Corse précurseur de
l’industrie horlogère en Franche-Comté[2] :
« Le 6 Octobre 1823 était constituée à
MONTBELLIARD la Société VINCENTI et Cie
consacrée à l’industrie horlogère. Jean VINCENTI est né à BASTELICA en
1786 de François VINCENTI et de Marianne GAVINI. Il était d’esprit vif et fut
de bonne heure attiré par les combinaisons et les constructions de la
mécanique. Aussi chercha-t-il à développer ce goût et ces aptitudes sur le
continent. »
A quelle époque et dans
quelles conditions quitta-t-il la CORSE ? C’est difficile à dire. On sait
seulement qu’il travailla en SUISSE dans sa jeunesse, puis on le trouve à
BEAUCOURT chez MM. JAPY Frères, où il s’occupe de fabriquer des montres à
répétition de son invention.
L’article précise qu’il
s’installe à MONTBELLIARD avec des parents : son neveu GAVINI, des
« VINCENTI », des « MARTINENGHI », des
« OLIVARI », des « PASQUALI » et des
« FRANCESCHINI ».
Je crois qu’il faut
insister sur la notion d’individu. L’émigration est un fait individuel et il
n’y a pas – ou très rarement dans des circonstances exceptionnelles-
d’émigration de familles entières.
L’émigration est un
fait continu de l’histoire de la CORSE, mais il y a des périodes plus
favorables. Ainsi, elle augmente avec la crise économique de la fin du 16ème.
Au 17ème siècle le mouvement s’amplifie encore avec le renforcement
de l’emprise de GENES sur l’île.
Qui émigre ?
Les gens
de condition modeste qui vont servir dans les armées Italiennes.
Pourquoi
partent-ils ?
Faute de capitaux pour cultiver, ils
vivent difficilement chez eux. Il y a bien sur ceux qui sont poussés par le
goût de l’aventure ou l’ambition, et ceux qui fuient, soit des inimitiés dans
le village, soit la justice génoise.
Comment GENES
organise-t-elle l’émigration ?
Le CIVILE GOVERNATORE indique que
fréquemment, des Capitaines étrangers parcourent l’île pour recruter des
soldats. C’est ainsi qu’a été recrutée la « Garde CORSE » de la
papauté, dans laquelle « s’illustrèrent » des gens de BASTELICA.
GENES, qui
plus que de soldats, a besoin de bras pour travailler la terre de l’Ile, va
s’efforcer de freiner ce mouvement. C’est dans ce contexte qu’est publié le
Décret de 1613 qui interdit « à
toute personne de quelque grade ou condition, de s’exiler pour aller servir
aucun prince ou seigneur, ou aucun capitaine ou officier à quelque titre que ce
soit. »
Mais cette mesure est restée
inefficace. Le paysan Corse préfère souvent l’émigration à sa situation de
simple cultivateur ou berger.
Le notable
(c'est-à-dire le riche), peut lui aussi choisir l’émigration à l’étranger. Il
partira soit pour entreprendre une carrière militaire chez quelque prince (Sampiero CORSO), soit à des fins intellectuelles.
POMPONI [3]note
qu’au 17ème siècle, chaque année, 5 à 6.000 étudiants, surtout des
ecclésiastiques, se rendent en Italie
–surtout à ROME- où les Corses ont leur quartier. Beaucoup reviennent dans leur
patrie à l’issue de leurs études.
Dans le courant du 18ème
siècle il y a une évolution dans l’origine de l’émigration.
Sous l’occupation
génoise elle a été surtout politique, avec la France l’aspect économique et
social s’accentue. Certes, il y a une pression démographique accrue, mais elle
joue un rôle secondaire. Le facteur important de cette « nouvelle »
émigration, c’est la rupture de l’équilibre agro-pastoral.
Parallèlement à cette
émigration vers l’étranger, on assiste dès le 16ème siècle à une
attraction de la ville : AJACCIO en
l’occurrence. Pour BASTELICA cette attraction a été d’autant pus forte que le village n’est situé qu’à 4O Kms de ce
centre urbain et que le système économique oblige les habitants de la
communauté à descendre à la plaine pour tenir les troupeaux et cultiver leurs
terres. Il est très difficile de mesurer quantitativement l’attraction de la
ville sur le village. Souvent, dans les registres de notaire ou autres
archives, on parle de tel homme de BASTELICA demeurant à AJACCIO
Cet exode rural
laissera des traces.
Paul ARRIGHI[4]
remarque qu’à AJACCIO au milieu du 16ème siècle il y a de nouveaux
venus corses dont le patronyme rappelle le village d’origine (comme ALATA,
BASTELICA, BOCOGNANO, TAVERA ) : « bourgeois et peuple sont unis dans la même défiance un peu méprisante
des « Paisani » de la montagne ».
Et BASTELICA joue un
rôle important dans ce « peuplement montagnard » d’AJACCIO, même si
pendant les deux siècles de notre étude et même au delà,
les rapports du village et de la ville ont été difficiles à cause du problème
de la plaine.
[1] Dominique FUMAROLI : « La pieve de BASTELICA, esquisse historico géographique ».
BASTIA BSSHNC n° 425/428 2ème trimestre 1921
[2] Extrait de : FRANCHE-COMTE. Monts JURA. (Haute Alsace) N° spécial : « L’horlogerie en Franche-Comté » Décembre 1928 n°113 pages 206/208. Reproduit dans « Le Petit Marseillais » des 13-15-17 Janvier 1929.
[3] François POMPONI : « Essai sur les notables ruraux en Corse au 17ème » Publication des Annales de la Faculté des Lettres d’Aix en Provence Série Tavaux et Mémoires n° XX 1962 AIX.
[4] Paul ARRIGHI : « Histoire de la CORSE » TOULOUSE 1971 (Page 259)