La Vie économique| Vocation Pastorale | Le conflit bergers/cultivateurs
BIGOT[1] :
« Les familles de paysans qui peuplent BASTELICA ont double existence, pour satisfaire aux doubles conditions de
culture que leur impose la nature du pays…La plaine appelée la BASTELICACCIA
leur appartient et ils y descendent pour la cultiver au mois d’octobre »
L’occupation la plaine
de BASTELICA, ne commence pas avec le 17ème siècle. Dès le 10ème
siècle, elle est déjà habitée par les gens du village montagnard.
Noël PINZUTTI[2]
note que dans le dialecte pastoral de la TOSCANE, on trouve le terme ADIACCIO
qui désigne le lieu de stationnement hivernal des troupeaux, que l’on peut comparer
à la prononciation usitée par les bergers de BOCOGNANO : ADIACCIU. Cela veut dire qu’au moment où fut délimitée
la communauté d’AJACCIO, son territoire était essentiellement le domaine des
bergers. Il n’y avait pas de centre
d’habitat permanent, mais plutôt de simples groupements de cabanes utilisées
temporairement par les bergers des environs. On peut ainsi, étymologiquement,
justifier les prétentions du village d’élevage qui devait exister avant le grand centre urbain.
Et les ravages des barbaresques
au 16ème siècle qui ont vidé le littoral de ses habitants donnent
aux bergers le champ libre pour leur installation saisonnière nécessitée par la
transhumance. C’est une question capitale pour comprendre l’évolution
économique de la région, à placer dans le cadre de la lutte séculaire entre
bergers et agriculteurs, c’est-à-dire entre nomades et sédentaires. C’est ce
que BRAUDEL appelle sans exagération « le grand drame de la
Méditerranée ».
A quel moment exact a
commencé à se poser le problème des rapports entre bergers et
agriculteurs ?
Cela est difficile à
dire, car on ne sait pas comment AJACCIO cédât à l’origine la plaine de
BASTELICA.
Légende de la tour de
CAPITELLO[3].
En ce temps-là
BASTELICA était un gros village, le plus peuplé, le plus riche de la CORSE
croyaient les bastélicais qui n’en étaient jamais
sortis. Ils avaient du mépris pour l’habitant des plages lointaines et surtout
pour le citadin.
La seul chose que les bastélicais enviaient aux ajacciens étaient ses tours.
BASTELICA avait été pillé et détruit,
puis reconstruit à son emplacement actuel. Et les vieux disaient que si
BASTELICA avait eu une tour, ils auraient facilement résisté à tous les
assauts. Il fallait donc une tour, au moins une à BASTELICA, pour sa défense
bien sûr, mais aussi pour son amour-propre. Et si l’on pouvait s’entendre avec
les ajacciens pour l’échange d’une tour contre des cochons, des chèvres, des
chevaux ou des vaches ? Mais, on le savait, les ajacciens tenaient trop à
leurs tours.
Alors, pourquoi ne
prendrait-on pas, de gré ou de force, une des nombreuses tour qui bordent le
golfe d’AJACCIO, la plus proche, la tour de CAPITELLO ?
Le jour de la saint
Michel, à la sortie de la grande messe, sur la place de l’église, toute la
population mâle du village sans en excepter les moines du couvent, décident de
partir à la conquête de la tour.
On la prendrait, on la
traînerait à BASTELICA, et on la placerait, la placerait………..Mais l’emplacement
ne fut pas arrêté car chacun voulait la tour dans quartier.
Ils partirent donc à sa
conquête, au petit matin les montagnards sont devant la tour. Sans perdre de
temps, avant de donner l’éveil aux ajacciens, la tour est fortement liée par le
bas, le milieu et le haut.
On empoigne le bout de
chaque funa[4] (corde) et au
signal donné par le Supérieur des Franciscains, les trois équipes se mirent à
tirer de toutes leurs forces.
Les cordes s’étirent,
s’allongent…
Cependant, l’alerte a
été donnée à AJACCIO par des pécheurs, et bientôt toute la ville, par voie de
mer et de terre, est devant la tour.
Les ajacciens sont
consternés. Que faire ? Les jeunes veulent se battre, les vieillards
préfèrent parlementer.
On choisit finalement
l’arrangement à l’amiable. Si les bastélicais veulent
la tour, on pourrait puisqu’ils n’ont ni terre à blé, ni terre à vigne, leur
céder les territoires compris entre le PRUNELLI et la GRAVONA.. En somme, des
terrains semés d’étangs et de marécages, incultes et insalubres, éloignés de la
ville et ne valant pas grand-chose.
Tout compte fait, il
n’y avait pas à hésiter, et comme au surplus l’affaire était avantageuse pour
les moines qui, aux maigres dîmes qu’ils percevaient en châtaignes, seigle et
fromage, pouvaient escompter l’apport de redevances en blé, huile et vin.
La proposition des
ajacciens fut donc acceptée. L’accord fut scellé au pied de la tour, non pas
sur un parchemin devant notaire, mais par un bon repas.
Voilà comment
BASTELICA, partit à la conquête de la tour de CAPITELLO, conquit et garda ce
qui est aujourd’hui la BASTELICACCIA.
L’envers de la médaille pour les bastélicais « ceux qui ont tiré la tour » est une
réputation peu flatteuse de gens pas très malins.
Bien sûr, on ne peut
prêter foi à une légende, mais celle-ci a le mérite de mettre le doigt sur une
vérité profonde. La plaine pour
BASTELICA, c’est avant tout son approvisionnement en blé et autres
céréales.
Pourquoi cette
plains ? Il y a eu un choix lorsque en 1644, le gouverneur génois révoqua
une décision de son commissaire d’AJACCIO interdisant le pacage d’hiver sur les
territoires de CAMPO DELL ORO et CAPO DI FENO utilisés par les éleveurs de
BASTELICA[5].
Ceux-ci
abandonnèrent le site de CAPO DI FENO
pour s’installer définitivement dans celui de CAMPO DELL ORO parce qu’il leur
était plus facile pour leur développement économique et démographique,
d’occuper une territoire de plage sur un site qui était une étape entre le grand village et le centre
citadin de transactions agraires d’AJACCIO.
La plaine est
indispensable à BASTELICA. On le comprend bien lorsque éclate en 1786 un
nouveau conflit avec AJACCIO à ce sujet[6].
Requête présentée à
l’Intendant par les officiers municipaux de BASTELICA dans laquelle François
Maria COSTA réclame une portion de terre sur le terrain appartenant à la
communauté pour le défricher et le cultiver.
La plaine qui est fort
étendue appartient à la communauté et est divisée en trois hameaux. La
communauté a fait une division égalitaire de ses terres qui prennent le nom de
« terziri ». Ces trois « terziri ». de BASTELICA à la plaine sont
l’unique ressource des habitants pour leur production de blé. Aucune autre
terre ne peut être employée à cet usage ;) Elles servent également à
nourrir pendant l’hiver la multitude de bestiaux qui sont la principale
richesse des habitants.
L’attachement des bastélicais
pour leur plaine pourrait être également justifiée par des arguments d’ordre
affectif.
CAMPI[7]
raconte que pendant l’hiver de 1731, 21 bergers de BASTELICA de la famille
FRASSATI avaient emmené leurs troupeaux dans les pâturages de CAMPO DELL ORO.
Le commissaire génois CATTANEO envoie pour les combattre la garnison d’AJACCIO,
composée de 80 génois et grecs, sous les ordres du colonel VELA.
Les bergers d BASTELICA
les attendent de pied ferme. La tête de la colonne génoise éprouve des
difficultés à se déployer, et fut repoussée jusqu’à la chapelle Saint-Joseph
près d’ASPRETTO.
Les génois appellent
des renforts. 300 hommes embarquent à AJACCIO sur des gondoles, et débarquent à
CAMPO DELL ORO.
Les bergers soutiennent
une lutte héroïque, mais sont tous tués, à l’exception d’un jeune homme de 16
ans, qui fut pris et amené à AJACCIO.
Le commissaire génois
lui fit attacher autour du corps, les t^tes ensanglantées de six de ses parents tués dans le
combat, et on le promena ensuite à travers la ville ? Il fut ensuite
décapité et découpé en quartiers qu’on suspendit aux murs de la ville.
On peut donc parler du
« prix du sang ».
Le comte FORCIOLI
souligne avec pertinence le rôle souvent positif joué par les bergers de
BASTELICA à la plaine :
« Ils peuplent
les vallées, et grâce à eux les plages ne sont pas devenus des déserts
insalubres et inhabitables. Ils prennent soin des sources et les empêchent de
devenir des marécages dans lesquels les eaux s’empoisonneraient. Ils rendent
possible la mise en culture de ces terres de région maritime, brûlées au soleil estival et qui privés du
fumier des bestiaux resteraient délaissées.
De plus les bergers
alimentent les villes de lait, fromages, œufs, abeilles, viandes de mouton,
chevaux. »
Les prétentions de
BASTELICA sur la plaine reposent ainsi sur des bases légitimes.
Cependant, la
communauté d’AJACCIO a toujours contesté les droits de la communauté
montagnarde sur ses terres.
Deuxième moitié du 16ème
siècle.
Dès 1542, les habitants
de BASTELICA avaient adressé une supplique à propos des terrains utilisés pour
les pâturages de leurs troupeaux, et usurpés par les ajacciens. Quelques années
plus tard, le conflit rebondit.
Le 15 juin 1547[8],
le procureur de la communauté de BASTELICA revendique les terrains de PALMENTE,
situé sur la rive droite de la GRAVONA, et ceux de la plaine de CAMPO DELL ORO,
comme ayant été utilisés depuis des temps immémoriaux par les bastélicais pour le
pacage de leurs troupeaux.
LE 5 février 1548, la
préférence fut donnée à AJACCIO.
La question n’était
pourtant pas réglée.
En 1552, le procureur
d’AJACCIO demande au Protecteur qu’il soit interdit de faire pacager à
l’intérieur des limites de la communauté d’AJACCIO des bestiaux d’autres lieux.
La fin du 16ème
siècle est marquée dans la plaine par un événement tragique[9].
En novembre 1582, les
turcs font des razzias sur le littoral
ajaccien et viennent semer la terreur jusque sous les murs de la ville
d’AJACCIO.
La nouvelle se répand en
ville que les barbaresques turcs viennent d’enlever 10 habitants de BASTELICA
dans la plaine de CAMPO DELL ORO.
17ème siecle
Tableau chronologique
du conflit BASTELICA / AJACCIO au sujet de la plaine.
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1644 |
Autorisation accordée par le Conseil des Anciens
d’AJACCIO aux habitants de BASTELICA de pouvoir ensemencer les terres
appelées plages de BASTELICA, qui font partie du territoire d’AJACCIO. |
1647 |
Avis donné aux habitants de BASTELICA qu’il leur
est interdit sous peine d’amende de cultiver les terres dépendantes du
territoire d’AJACCIO, sans en avoir obtenu l’autorisation du Conseil de
Anciens |
1649 |
Concession en faveur du noble Natale MARTINENGHU
d’une parcelle située dans la plage de BASTELICACCIA |
1649 |
Concession de terres à la plage en faveur de Chirgo de BASTELICA et d’Antonio du même lieu. |
1659 |
GRIDA fait connaître aux gens de BASTELICA qu’il
leur est interdit sous peine d’amende d’exploiter les terres dépendantes du
territoire d’AJACCIO, |
1660 |
Le terzero d’
ASPRETO, dont la plaine de CAMPO DELL ORO constituait la partie la plus
fertile, fut supprimé et abandonné au pacage du bétail. Ce qui fut sûrement
au bénéfice exclusif de bergers d BASTELICA |
1666 |
Avis du commissaire GENTILE au peuple de BASTELICA,
que la commune d’AJACCIO veut mettre à ferme les terres de CAMPO DELL ORO et
de LISTINGHICCIA, et qu’ils peuvent prendre part à l’adjudication. |
1670 |
Contestation entre les habitants d’AJACCIO et de
BASTELICA sur les droits de pâturage sur les propriétés de CAMPO DELL ORO |
1673 |
Rapport du capitaine FRANCESCHINI informant les
Anciens d’AJACCIO que les habitants de BASTELICA refusent de payer les impôts
dus pour la culture des terres dépendant de la communauté d’AJACCIO. |
1674 |
Lettre du magistrat de CORSE confirmant un jugement
prononcé par le commissaire d’AJACCIO contre BASTELICA. |
1676 |
Les propriétaires ajacciens de gros bétail
demandent aux Anciens de pouvoir obtenir pour leurs bêtes les avantages de
pacage de la plaine de CAMPO DELL ORO exploitée par les bergers de BASTELICA.
Les Anciens donnent l’ordre à ces derniers d’évacuer la plaine |
1678 |
Le commissaire d’AJACCIO Frederico
FREDERICCI interdit aux bergers d’ALATA
de faire paître leurs troupeaux sur les terrains de CAMPO DELL ORO
tant sur la partie appartenant à la magnifique communauté d’AJACCIO, que sur
celle du village de BASTELICA |
1687 |
Enquête de la communauté de BASTELICA qu’au terme
d’une sentence de l’évêque d’AJACCIO, Grégorio
ARDIZIONI, dans un différend opposant BASTELICA et AJACCIO au sujet de la
propriété de certaines terres, elle doit verser à AJACCIO 300 lires par an en
compensation de certaines terres qui lui avaient été attribuées. Par suite de
mauvaises récoltes, elle n’a plus versé cette somme depuis quelques années,
ce qui a justifié l’interdiction faite par le Commissaire d’AJACCIO aux bastélicais de se rendre à AJACCIO. Elle demande à être remise en possession desdites
terres, et qu’à l’avenir, seuls les habitants de BASTELICA qui en jouissent
payent les 300 lires dues à AJACCIO. Convention passée entre AJACCIO et BASTELICA au
terme de laquelle les députés de BASTELICA, devront dresser la liste des
personnes qui utilisent les terres et qui devront donc payer. |
1694 |
Affermage des terres de CAMPO DELL ORO et de LISTINGHICCIA pour
428 mines de blé et 70 mezzini d’orge. |
1699 |
Signification aux gens de BASTELICA d’avoir à
évacuer les plaines de CAMPO DELL ORO sous peine de trois ans de galère. |
Il apparaît nettement
une crise entre les bergers de BASTELICA, dont la route de transhumance, le
long de la vallée du PRUNELLI aboutit à la plaine de CAMPO DELL ORO et AJACCIO.
Il semble qu’un
compromis soit intervenu, puisque l’acte de 1678 laisse entendre que les terres
contestées se trouve plus ou moins partagées également entre la ville et le
village.
La redevance pour ces
pâturages est de 300 lires, ce qui est cher, et BASTELICA a souvent du mal à
s’en acquitter.
Le fait le plus
important de cette période est la mise en affermage des terres contestées, ce
qui renforce les progrès de l’individualisme agraire et de l’agriculture aux
dépends de l’élevage extensif. Il faut préciser également, que le compromis, si
compromis il y a eu, n’est pas intervenu entre les bergers de BASTELICA et les
agriculteurs ajacciens, mais entre les bergers, bastélicais
ou ajacciens dont les intérêts sont désormais liés, et les cultivateurs
ajacciens.
Cette nuance vaut
d’être bien marquée, car on a souvent présenté le séculaire conflit entre
agriculteurs et bergers en CORSE, comme la manifestation de l’opposition
irréductible des tenants de l’économie pastorale traditionnelle aux tentatives
d’introduction d’une colonie agricole. En réalité, dès la deuxième moitié du
116ème siècle, le conflit existe à l’intérieur même de la communauté
d’AJACCIO entre ses bergers et ses cultivateurs.
18ème siecle
|
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1705 |
Affermage des terres de LISTINCHICCIA . Rapport aux Anciens de Cristofaro
de BOZZI sur l’état de ses terres qu’on dit ravagées par les troupeaux. Le
rapport indique que ces terres ne sont nullement propices à quelque culture
que ce soit.. |
1715 |
Requête de Marc-Aurelio ROSSI qui a travaillé a COGGIO comme maçon, puis a été fermier de la gabelle du
fer dans les juridictions d’AJACCIO et de VICO. Il se plaint que ses propriétés de CAMPO DELL ORO
soient dévastées par les troupeaux des bergers de BASTELICA, et plus
spécialement par ceux du Major Francesco ORNANO |
1717 |
Requête adressée au Gouverneur Giovano
Stefano SPINOLA. Il est demandé que suivant l’usage ancien, le
pacage soit commun dans les propriétés clôturées de CAMPO DELL ORO après la moisson, ce que le propriétaire
depuis deux ans, voudrait empêcher. |
1741 |
Quittance délivrée par le Conseil des Anciens
constatant que la commune d’AJACCIO a touché la somme de 300 lires de
BASTELICA, en acompte sur la somme que celle-ci doit encore pour
l’exploitation des terres communales d’AJACCIO. |
1742 |
Quittances délivrées par Francesco POZZO di BORGO,
greffier, au peuple de BASTELICA pour redevances reçues. |
1750 |
Exposition par le Conseil des Anciens au marquis de
CURSAY, Gouverneur de la CORSE, d’un procès entre BASTELICA et AJACCIO au
sujet de fermages de terres, en
faisant appel à toute sa bienveillance. |
1754 |
Lettre envoyée par les Anciens le 15 octobre au
Procureur de BASTELICA au sujet des pâturages de CAMPO DELL ORO |
1755 |
La communauté de BASTLICA doit des redevances pour
l’exploitation des terres de PIANO COMMUNE |
1758 |
Protestations contre les gardes-champêtres qui,
ayant laissé dévorer les récoltes par des troupeaux de BASTELICA, ne veulent
pas payer les dommages. |
1768 |
Problème des redevances : AJACCIO réclame l’abandon des terrains, ou la
reprise des redevances avec règlement du retard à BASTELICA. Le général DE NARBONNE donne raison aux bergers de
BASTELICA, dont l’argument principal était que les terres en question, appartenaient
dès le 16ème siècle, à SAMPIERO qui
seul, y avait une maison. Il y serait même né. NARBONNE descendant de SAMPIERO par les femmes, fut
très touché par cet argument sentimental. |
1778 |
Signification aux gens de BASTELICA d’une décision du Commissaire qui leur
défend de faire paître leurs troupeaux sur les terres de CAMPO DELL ORO, la
LISTINCHICCIA exceptée. |
1785 |
Procès-verbal d’adjudication du fermage du PIANO
COMMUNE. Giacomo LECA, adjudicataire pour 425 lires,
payables d’avance. |
1786 |
Procès-verbal d’adjudication du fermage des terres
de CAMPO DELL ORO. Mario PERALDI, adjudicataire pour 333 francs |
1787 |
Procès-verbal d’adjudication du fermage des terres
de LISTINCHICCIA Mario PERALDI, adjudicataire pour 310 francs |
Le problème la CONFINA
Les plus grands
négociants d’AJACCIO, les BACCHIOCCHI, louent aux bergers de BASTELICA les
terres de la CONFINA.
Comme pour CAMPO DELL
ORO et la LISTINGHICCIA des problèmes vont se poser dans les rapports avec la
ville d’AJACCIO.
Lettre du 10 mai 1770[39]
qui s’oppose à la demande des députés de BASTELICA, à propos des terres de la
CONFINA : « Ce que les bastélicais appèlent une possession immémoriale parait n’être qu’une
usurpation. C’est Sa Majesté qui est propriétaire de ces terres. »
Dans l’historique de ce
domaine le philosophe VOLNEY[40]
joue un rôle important. Venu en CORSE à la fin du 18ème siècle pour
entreprendre dans la CONFINA l’exploitation de diverses productions exotiques
qui pouvaient manquer à la métropole, il renonce vite à ce projet pour se
lancer dans la politique. Il restitue alors le domaine à son utilisation
ancestrale, sa location aux éleveurs des villages de la montagne.
Vaste de plusieurs
centaines d’hectares, le domaine de la CONFINA, dans sa portion principale du
moins, semble avoir appartenu à la famille d’ORNANO. Deux demoiselles de ce
nom, ne pouvant l’exploiter, le vendirent à GENES qui l’augmenta de quelques terres qu’elle
n’avait pas voulu concéder aux particuliers, se réservant ainsi la jouissance
directe de ce vaste domaine, en le louant à des fermiers qui, à leur tour, le
morcelait facticement pour le sous-louer aux agriculteurs et bergers de
BASTELICA et des villages environnants. Ce système de location et sous-locations
tend à accroître le malaise des bergers voués à la transhumance, car les prix
montent.
En 1753, le domaine est
arraché par le Gouverneur National aux génois qui n’eurent pas le temps de le
vendre par parcelles. Le Gouverneur
National le loue donc à son profit sur la base de 1100 lires par an.
Ce domaine exerce une
forte séduction sur les grandes familles
de la région désireuses d’en avoir la concession, ce qui constituerait
une sérieuse source de revenus.
A partir de 1768, les
intrigues commencent. Les DE CUTTOLI,
famille influente, sollicitent la concession, ce qui leur valu la dévastation
complète de leurs maison, vergers, vignes et troupeaux par les PAOLI.
Mais il y a la
concurrence du comte DE PERES, ancien amiral de la flotte de PAOLI,
rallié aux français. Tant que dure l’incertitude politique, la concession est
évitée par la Cour de VERSAILLES, mais en mai 1769 le sort de la guerre ne fait
plus aucun doute., et le domaine de la CONFINA n’est cédé ni aux CUTTOLI, ni au
comte DE PERES, mais au capitaine Georges STEPHANOPOLI, à la condition d’une
redevance de 1200 lires. (Les ¾ au capitaine, ¼ à sa fille).
La famille STEPHANOPOLI
conservera le domaine jusqu’en 1791 où une loi du 12 octobre ordonne le retour
à la Nation des domaines d’état concédés par le régime déchu.
Le 1er mai
1792, le Directoire du district d’AJACCIO met en vente le domaine de la
CONFINA, et c’est le fameux VOLNEY qui en fait l’acquisition. Mais, pris par le jeu de la politique, il a
recours au vieux système de la sous-location et revend la CONFINA au futur
cardinal FESCH.
Tous ces marchandages
ne font pas le jeu des exploitants (les bergers de BASTELICA), car pour eux
chaque changement de propriétaire signifie hausse des prix des locations.
Finalement le 18ème
siècle n’a rien résolu. Les bergers continuent de descendre à la plaine où ils
se trouvent confrontés à des problèmes de plus en plus nombreux et difficiles.
C’est pourquoi, en 1790, la communauté de BASTELICA envoie cette requête aux
autorités[41] :
« Les dommages
continuels et les frustrations journalières dont souffre la communauté de
BASTELICA réduite pratiquement à un état de dépréciation et d’étouffement, le
nouveau règlement étant fait par les officiers municipaux de la ville
d’AJACCIO, avec abus d’autorité et altération manifeste des antiques lois
coutumières et ordinaires, nous contraignent en notre qualité d’officiers
municipaux et protecteurs du peuple, à devoir exposer en son nom directement à
votre Excellence tous lesdits abus, afin que, reconnus comme tels on procède à
la réparation par les ordres et règlements qu’il estimera les plus propres à
nous libérer de l’obligation d’être responsable de quelque événement dont on
serait accusé si, négligeant les devoirs de notre fonction, nous laissions en
ignorer les faits à votre Excellence et ne représentions pas avec précision
tout ce que le peuple revendique vivement, tout ce dont il se plaint et tout ce
que prétend à juste titre notre communauté ;
Messieurs les officiers
municipaux d’AJACCIO, montrant un grand zèle pour les avantages de leur
communauté, après avoir procédé à l’élection des gardiens de leur ville,
procédèrent à une autre élection de gardiens, les chargeant de préserver et de
garder les enclos et terrains semés, qui se trouvent dans la plaine de CAMPO
DELL ORO, les autorisant même à prendre et à garder tous les animaux qu’ils
auraient trouvé paissant sur les terres nues et ouvertes.
Ceux-ci exécutant les
ordres, ont pris en gage et attachés tous le animaux qu’ils trouvèrent
paissant, les ont tous conduits à la ville et placés au poteau de justice
établi de bon plaisir, à la surprise générale, et sans le permis spécial de
votre Excellence, dans la ferme du CASONE, exigeant pour chaque tête de bétail
une somme arbitraire sous le prétexte de la facture et de la garde, outre un
certain droit de gage qui se trouve tout à fait aboli et éteint par la
disposition des lois champêtres.
Ainsi, les gardiens de
ladite communauté se sont crus, puisque soutenu spécialement par la faveur du
Seigneur Podestat, être aussi en plein droit de pouvoir impunément s’approprier
des biens d’autrui. Sous le même prétexte, ils se permirent même de conduire,
les ayant décrétés en faute, dix de nos bergers qui n’avaient commis aucun
dommage, ni abus, et qui furent cependant injustement détenus au-delà des 24
heures, avec la perte de 22 sous et demi chacun, se faisant même prendre quatre
gros moutons qui ne furent plus restitués.
Une telle procédure,
Excellence, est injuste et arbitraire ? A tel point que si on devait
mesurer à partir d’elle, l’heureuse condition actuelle des sujet du Roi, il n’y
aurait aucun doute à croire qu’il règne malgré tout en CORSE le despotisme et
l’arbitraire, qui font que la justice de notre Souverain et l’exécution de ses
lois bienveillantes est tout à fait éteinte et ensevelie.
Cette procédure,
Excellence, qui n’a d’autre but que de servir un intérêt particulier, a alarmé
les habitants de la ville d’AJACCIO même et d’autres communautés et tous ont
réclamé que le poteau de justice établi dans la ville, et propriété de Monsieur
TARTAROLO, cesse d’être en usage. Ce qui fut le cas, et les gardiens ont été
par la suite dispensés de continuer à
taxer le bétail sur les terres nues et ouvertes du même propriétaire, à la
suite des intimidations et ordres de l’excellentissime Juge Royal, lequel sans
procès ni jugement, mais avec une habile prudence a trouvé le moyen de faire
face à tout obstacle sans fermer d’avance la voie des recours, ni céder aux
intérêts de ceux qui ont droit de les répéter, et dont nous entendons que le
responsable en soit personnellement condamné, le maître qui a autorisé les
gardiens à commettre des abus, et tolérant même les délits d’abus de pouvoir
avec l’appropriation des moutons…….
Notre communauté désire
que nous supplions votre Excellence de nous autoriser à convoquer une Assemblée
afin d’élire un ou plusieurs procurateurs afin qu’ils puissent par leur zèle et
leurs activités nous soutenir dans toutes rencontres, avec la faculté de
pouvoir comparaître devant tout Cour de Justice, non seulement au nom de
l’individu lésé, mais aussi à celui de la communauté………
Nous demandons que la
sentence rendue l’année 1674 par feu Monseigneur Grégoire ARDIZZONI, évêque
d’AJACCIO, soit observée et exécutée, selon sa forme, de laquelle on déduit que
non seulement notre communauté a le droit de faire paître sur les terres nues,
incultes et ouvertes au parcours, par disposition d’ordonnance qui abolit même
tout droit de limite, mais aussi que la communauté d’AJACCIO ne peut pas s’opposer à ce que le bétail de notre
communauté ait le plein droit et privilèges de faire paître sur toutes les terres, exclusivement dans celles dites de la
plaine.
Nous demandons donc,
d’empêcher à ladite communauté de louer à l’avenir quelques-unes de ses terres
au préjudice de nos droits et privilèges qui apparaissent incontestables dans
les actes et traités et, en particulier, dans la sentence dont nous avons joint
copie à la présente…….
D’autant plus que les
officiers municipaux d’AJACCIO savent que, aussitôt que Sa Majesté devint
Maître de la CORSE, tous les pactes, conditions et privilèges furent, par acte
solennel et public notarié, ratifiés par les deux communautés d’AJACCIO et de
BASTELICA sur ordre de son Excellence le comte de NARBONNE, lieutenant général
et commandant en chef, justement pour prévenir les litiges qui pourraient
surgir entre les deux communautés, et ainsi éviter tous désordres et
inconvénients.
Le produit du bétail
Excellence, est la principale subsistance et la base fondamentale de notre
pauvre pays. C’est de là qu’il tire presque la totalité de sa subsistance. De
cela, votre Excellence doit tirer argument et connaître combien nous est à cœur
et nécessaire le maintien des droits que notre communauté réclame, droits que
par le passé elle a toujours soutenu par l’effort financier et même par son
propre sang à ‘occasion des difficultés que lui procurèrent les ajacciens.
Plusieurs réunions
amicales, décret de Juges, Gouverneurs, durant l’année ont ramené le calme
entre els deux communautés, calme dans lequel nous
désirons demeurer avec le simple maintien de nos droits et privilèges.
Nous espérons que votre
Excellence acceptera volontiers nos demandes, et qu’en égal défenseur des
droits du faible, elle voudra accorder à notre communauté toute son assistance
et sa protection, afin qu’elle ne soir plus lésée, mais conservée et maintenue
dans ses antiques droits, privilèges et raisons ».
Réponse du Subdélégué
d’AJACCIO :
« La requête
qu’a élevée la communauté de BASTELICA contre celle d’AJACCIO ne relève que
d’insinuations de personnes hostiles à la tranquillité publique, puisque la
communauté de BASTELICA contre laquelle la vile d’AJACCIO avait des droits à
exercer, a toujours parlé pour se plaindre de la dépendance dans laquelle elle
se trouve, motif pour lequel elle aurait dû donner à AJACCIO les terres situées
au-delà de la plaine de CAMPO DELL ORO.
Quelque soit la sentence
arbitraire que BASTELICA invoque, vous devez être certain qu’au sujet des
autres biens de la communauté d’AJACCIO, BASTELICA n’en a jamais joui et c’est,
par contre, la ville d’AJACCIO qui en a toujours eu jouissance.
On doit noter que même
au temps de l’anarchie pendant lequel les gens de BASTELICA ne payaient même
pas l’habituelle taxe de 300 lires annuelle, ils n’osèrent lever une pareille
prétention, mais se contentèrent de jouir des terres de la commune d’AJACCIO
au-delà de la plaine de CAMPO DELL ORO, et ils permirent que la communauté
d’AJACCIO jouisse des autres biens et en eut l’entière possession.
Maintenant, si quelque
particulier d BASTELICA a molesté un particulier d’AJACCIO et a fait paître son
bétail sur les biens de ce dernier situés à CAMPO DELL ORO ou ailleurs, il
y a autant de sentences rendues par le
représentant de GENES en ce temps-là par lesquelles lesdits particuliers ont
été condamnés au paiement des dommages.
Les circonstances de
l’époque, les tâches multiples qui s’y sont jointes, le devoir de s’occuper
continuellement du maintien du bon ordre et de la tranquillité publique nous a
empêchés de faire l’inventaire des titres en concurrence, et, en outre, nous ne
pourrions préjuger des droits de notre ville qui se trouvent en notre
possession qui ne méritent pas d’être rapportés.
Voilà toutes les
observations que nous avons l’honneur d’opposer à celles de la communauté de
BASTELICA. »
Ainsi, l’Administration
Française n’a pas résolu les contestations entre BASTELICA et AJACCIO parce que
le droits et usages étaient devenus caducs.
Elle n’eut plus qu’à
légitimer une situation de fait favorable à
la communauté d’AJACCIO.
Ce problème de la
plaine de BASTELICA ne trouvera une solution définitive qu’au 19èe siècle. Au
début de ce siècle, la population de la BASTELICACCIA commence à devenir
sédentaire. Le Gouvernement de la Restauration avait d’ailleurs fourni un gros
effort pour sédentariser les bergers.
Une loi du 14 mai 1865
règlera définitivement le sort de la communauté de BASTELICA à la plaine :
un nouveau villages sera créé, appelé BASTELICACCIA et rattaché au canton d’AJACCIO.
L’étude de la vie
économique d’une région ne serait pas complète, si l’on n’envisageait pas le
rôle joué par la fiscalité sur ses habitants.
C’est ce que nous
allons voir à présent en étudiant le poids de l’impôt.
[1] Maximilien BIGOT : « Paysan Corse en communauté : Berger, porcher des montagnes de BASTELICA, d’après les renseignements recueillis sur les lieux en 1869. » BASTIA 1971 pages 53/54
[2] Noël PINZUTTI : « Notes sur l’histoire économique d’AJACCIO aux 16ème et 17ème siècles »
Corse Historique n° 14-15-16
[3] La légende de la Tour de CAPITELLO dans le « Petit ECHO de la CORSE » Janvier 1955
[4] Ce sont des cordes faites de poil de chèvre, facilement extensibles, très élastiques, de sorte sue les bergers crûrent faire avancer la tour.
[5] « Abandon de CAPO DI FENO » dans « Le Petit Bastais » 5/2/1954
[6] Intendance : C 514
[7] « Notes et documents sur la ville d’AJACCIO » 1901
[8] Archives communales d’AJACCIO : Série DD liasse 1
[9] CAMPI : « Notes et documents sur la ville d’AJACCIO » 1901 page 69
[10] Archives communales d’AJACCIO DD liasse 2
[11] Archives communales d’AJACCIO DD liasse 2
[12] Archives communales d’AJACCIO BB libro grosso :
carton 7 pages 203/207
[13] Archives communales d’AJACCIO BB libro grosso :
carton 7 pages 203/207
[14] Archives communales d’AJACCIO HH liasse 1
[15] Noël PINZUTTI (voir note 2)
[16] Archives communales d’AJACCIO DD liasse 2
[17] Archives communales d’AJACCIO DD liasse 2
[18] Archives communales d’AJACCIO carton 1 liasse 1
[19] Archives communales d’AJACCIO carton 1 liasse 1
[20] Noël PINZUTTI (voir note 2)
[21] Noël PINZUTTI (voir note 2)
[22] Série C : « Atti fatti in visita »
C35 n° 286/287
[23] Archives communales d’AJACCIO HH liasse 3
[24] Archives communales d’AJACCIO DD liasse 3
[25] Archives communales d’AJACCIO DD liasse 4
[26] Fonds du CIVILE GOVERNATORE C 669
[27] Noël PINZUTTI (voir note 2)
[28] Archives communales d’AJACCIO CC liasse 9 carton 2
[29] Archives communales d’AJACCIO CC liasse 9 carton 2
[30] Archives communales d’AJACCIO FF liasse 2
[31] Archives communales d’AJACCIO DD liasse 9
[32] Archives communales d’AJACCIO DD liasse 9
[33] Archives communales d’AJACCIO HH liasse 6
[34] « Un fait du prince » dans « Le Petit Bastiais » 21/10/1951
[35] Archives communales d’AJACCIO DD liasse 3
[36] Archives communales d’AJACCIO DD liasse 9
[37] Archives communales d’AJACCIO DD liasse 9
[38] Archives communales d’AJACCIO DD liasse 9
[39] Intendance C 103
[40] « Le Petit Bastiais » 13/02/1938 et 27/11/1953
[41] Intendance : C108, traduction